Envoyé le 17-05-2023 à 15:32
Bruno Guimbal réagit à l’annonce du premier vol du H3PS, le démonstrateur de Tecnam équipé d’une motorisation hybride conçue par Rolls-Royce et Rotax.
Quand Ségolène Royal était la ministre de tutelle de l’aviation (!), elle avait fait remplacer le tapis rouge de l’escalier solennel du Ministère, boulevard Saint Germain, par un tapis vert pré, joliment complété par une charrette paysanne chargée de paille et de gerbes de blé. Un poulailler au fond du jardin de ce même palais historique complétait cette débauche de green washing. Il ne manquait que le petit Jésus dans la paille… Les canapés au foie gras étaient servis sur des coupelles en papier recyclé.
Pour des raisons certainement mesquines, les Gardes Républicains décorant l’entrée n’avaient pas pu troquer leur sabre doré et leur uniforme rouge et or contre des râteaux, des chapeaux de paille et des capes de lin. Le ridicule ne tue pas.
A cette même époque obscure, il m’a été demandé expressément, en réponse à une demande d’aide au développement d’un programme aéronautique, d’ajouter plusieurs fois le mot « hybride » dans mon dossier, « pour l’aider à passer » ; c’était l’époque de la gloire de la Toyota Prius, première voiture hybride.
Devinez quoi ? J’ai eu comme un blocage, et nous n’avons jamais eu cette subvention. Heureusement, ces temps sont loin et plus personne ne pratique le green washing maintenant ! N’est-ce pas ?
Plus scientifiquement, j’aime bien revenir aux fondamentaux. L’hybridation a deux justifications, plus une troisième :
• La première, celle de la Prius, est pleine de bon sens : un moteur de berline moderne peut développer entre 150 et 170 ch, et la puissance moyenne utile sur un cycle mixte est de 17 ch, correspondant à 100 g CO² /km. Or, à 17 ch, son rendement moyen est presque moitié plus mauvais qu’à pleine puissance. Le but de l’hybridation est donc d’utiliser ce même moteur seulement 15% du temps, mais à pleine puissance, où son rendement est optimum, et d’«étaler» cette énergie sur les 85% restants, grâce au moteur électrique et sa batterie.
• L’autre logique d’hybridation, qui justifie les voitures plus récentes et si à la mode, « hybrides rechargeables » est d’avoir deux voitures en une seule : électrique à 100%, économique et peu polluante sur les petits trajets quotidiens, et essence à 100%, sur les grands trajets. En prime, le moteur électrique permet, en appoint, des accélérations de bolide pour se faire plaisir (et perdre ses points).
• La troisième raison est moins énergétique : l’électrique est plus silencieux quand il est nécessaire d’être discret.
Et pour l’aviation ?
Un avion biréacteur moderne, extrêmement optimisé, fonctionne en permanence près de son rendement maximal, car le moteur et l’aile sont conçus pour une croisière à haute altitude où les moteurs sont « plein pot ». Fournissant un tiers de leur puissance au décollage dans de l’air trois fois moins dense, ils gardent leur meilleur rendement. L’hybridation n’a plus d’intérêt, qui empilerait des pertes supplémentaires et alourdirait fortement l’avion, ce qui augmenterait sa consommation par passager.
Seul, un avion cantonné à basse altitude par sa mission, comme le Bréguet Atlantic, pourrait être imaginé hybride, mais il était conçu pour faire bien mieux : couper un de ses deux moteurs pour les longs trajets, et voler à son meilleur rendement, sans pénalité de masse à vide (j’ai appris ça à l’école, je ne sais pas si cela a été opérationnel).
Dans le cas d’un hélicoptère monomoteur, aucun doute : le moteur fonctionne toujours entre 75 et 100% de sa puissance maxi, donc à son rendement maximum. L’hybridation n’a pas de sens, d’autant qu’elle diminuerait beaucoup la charge utile, et donc augmenterait la consommation par passager. Les essais de « micro-hybridation » faits sur Écureuil visent à remplir les conditions de sécurité d’un bimoteur et pas à apporter une économie directe d’émissions.
Dans le cas d’un hélicoptère bimoteur, comme pour l’Atlantic, il est de plus en plus question de couper un des deux moteurs en croisière pour réduire la consommation, ce qui est beaucoup plus léger qu’une hybridation, et pollue donc nettement moins par passager – sans parler du prix.
Principaux inconvénients à cela : la sécurité de redémarrage du moteur arrêté, en cas de panne du moteur valide, et la complexité du système.
Alors pour un avion monomoteur léger ? Deux solutions se présentent.
Avec l’exemple d’un avion qui demande 100 ch pour décoller et 60 ch en croisière :
Soit le moteur thermique dimensionné pour la croisière (> 95% du temps) fournit 60 ch à l’hélice, et fonctionne donc toujours à son meilleur rendement. Un moteur électrique de 40 ch apporte l’appoint nécessaire au décollage. Soit le moteur électrique est dimensionné à 100 ch pour le décollage, seul, sur batterie, batterie qui est rechargée en vol et remplacée par un moteur thermique de 80 ch entraînant un alternateur fournissant 10 ch pour la recharge et 60 ch au moteur électrique – sans passer par la batterie qui n’apporterait que des pertes. Le défi est alors de limiter l’accroissement de masse à vide, entre le moteur électrique, le moteur thermique, la batterie, l’alternateur et… le cuivre.
L’avion hybride le plus connu en France, le Cassio de Voltaero, est un mélange assez mystérieux des deux cas, puisqu’il est annoncé un décollage sur les seuls moteurs électriques – pour de nobles raisons de bruit, mais avec un gros moteur thermique en ligne sur une hélice, et un jeu d’embrayages. Je ne sais pas comment un avion peut décoller efficacement avec seulement la moitié de sa puissance installée ; toute l’aviation se base au contraire sur un surcroît de puissance en crête au décollage. C’est donc une affaire de compromis difficile.
Il est certain qu’il est crucial de beaucoup réduire le bruit des aéronefs, mais si c’est pour diviser par quatre ou cinq la charge payante, et ne pas changer la consommation totale du vol, où sera l’intérêt ?
Tous les industriels cherchent activement comment progresser, et sont optimistes. C’est notre rôle et c’est très bien. Mais il n’y a pas d’indice qu’ils aient encore relevé un seul des défis que l’on colle à l’hybride. En attendant, je trouve dangereux de survendre ces espoirs d’innovations car les lois de la physique sont très têtues.
J’ai été effaré récemment d’entendre promettre aux élus et riverains de notre aérodrome – sous forte pression – une aviation hybride et électrique, ultra-silencieuse et décarbonée, pour bientôt.
Même si elles « n’engagent que ceux qui les croient », ces promesses pourraient bien nous retomber dessus. Un peu l’histoire de Perrette et la peau de l’ours.
Bruno Guimbal
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